Market Insights : Réduction des pertes alimentaires – un soutien essentiel pour les agriculteurs face au changement climatique.

29th Sep 2024 | Leave a comment | By Ravi Dhanani

Selon une étude récente, les pertes et le gaspillage alimentaires représenteraient environ la moitié des 18 Gt de CO2e émises par le système alimentaire mondial[i]. Ce constat alarmant souligne l’importance de s’attaquer aux causes profondes du problème tout au long de la chaîne de valeurs, de la production à la consommation. Autre donnée stupéfiante : 28 % des terres agricoles mondiales sont consacrées à des aliments qui finiront par être perdus ou gaspillés.[ii] Une gestion préventive s’avère essentielle, non seulement pour atténuer les émissions de méthane générées par ces pertes, mais aussi pour répondre aux besoins locaux. Elle permettrait d’assurer des récoltes suffisantes pour nourrir les communautés, tout en générant des revenus durables grâce à la vente des surplus sur les marchés locaux et internationaux. Réduire le gaspillage alimentaire est donc une double opportunité : lutter contre le changement climatique et renforcer la résilience économique des agriculteurs. Des solutions innovantes et une meilleure infrastructure joueront un rôle clé pour transformer ce défi en opportunité durable. Alors que les effets du changement climatique deviennent omniprésents pour les agriculteurs d’Afrique subsaharienne, il est essentiel de se pencher sur la manière dont l’accès à une infrastructure appropriée tout au long de la chaîne d’approvisionnement peut contribuer à améliorer leur rendement. Une telle infrastructure permettrait non seulement de prévenir les vols et la détérioration des produits, mais aussi de garantir aux clients des produits frais à des prix équitables.

Commençons par les pratiques agricoles

L’un des défis majeurs auxquels font face les agriculteurs d’Afrique subsaharienne est leur dépendance aux cultures pluviales. Avec le changement climatique, les précipitations deviennent moins fréquentes, plus irrégulières et souvent plus intenses. Il est devenu impossible de se fier aux saisons pour déterminer les cycles de plantation et de récolte.

Face à cette instabilité, de nombreux exploitants agricoles se sont équipés de pompes d’irrigation alimentées au diesel. Cependant, ces pompes sont coûteuses, polluantes et, si elles ne sont pas correctement entretenues, susceptibles de tomber en panne. De plus, les problèmes d’approvisionnement et les prix élevés du carburant rendent l’accès aux combustibles fossiles de plus en plus difficile. Les pompes d’irrigation solaires, telles que celles fournies par SunCulture, constituent une solution durable. Elles répondent non seulement aux besoins en d’irrigation des petites exploitations, mais elles intègrent également une technologie connectée à l’internet des objets qui permet de suivre l’état des équipements et d’assurer un entretien rapide en cas de besoin. Ces systèmes offrent aussi des avantages supplémentaires : les agriculteurs peuvent également les utiliser pour recharger de petits appareils tels que les téléphones portables, consulter des prévisions météorologiques en temps réel et recevoir des conseils de plantation adaptés au climat local.

À plus grande échelle, InfraCo Africa soutient depuis près de vingt ans les projets Chanyanya et Chiansi, dans le district de Kafue en Zambie. Ces projets illustrent parfaitement l’impact de la création de coopératives agricoles, qui permettent de regrouper les petites exploitations pour bénéficier d’un système d’irrigation commun. Cette approche permet d’optimiser l’utilisation des ressources, d’améliorer les rendements et de réduire les coûts pour les exploitants. Grâce à ces coopératives, des terres irriguées, autrefois destinées à des exploitations de petite envergure, sont désormais exploitées sous forme de fermes commerciales et de jardins maraîchers productifs. Ensemble, ces projets ont permis d’irriguer plus de 3 500 hectares, créant ainsi des opportunités durables pour les agriculteurs. En assurant un approvisionnement en eau fiable et régulier, ces systèmes permettent de cultiver tout au long de l’année, garantissant ainsi des récoltes constantes et une sécurité alimentaire accrue. L’irrigation doit aller de pair avec des semences de qualité, notamment des variétés résistantes aux maladies et aux sécheresses, et d’autres intrants agricoles en devise locale. Ces éléments permettent de garantir une agriculture plus résiliente et accessible.

À Chiansi et Chanyanya, les agriculteurs bénéficient également du soutien d’un agronome employé par la société. Ce spécialiste leur fournit des conseils précieux sur la diversification des cultures, en les aidant à organiser leurs terres entre cultures de rente et cultures vivrières. Grâce à ces stratégies, les exploitants peuvent non seulement améliorer leur sécurité alimentaire, mais aussi augmenter le rendement global et la rentabilité de leurs exploitations.

Que faire des produits récoltés ?

Après la récolte, et avant leur arrivée sur les marchés, les produits doivent être correctement stockés pour éviter les pertes causées par la chaleur, les rongeurs ou les insectes. En Afrique subsaharienne, le manque d’infrastructures post-récolte, comme des entrepôts réfrigérés, est à l’origine de pertes alimentaires estimées entre 30 et 50 %. Ces pertes constituent un défi majeur pour la sécurité alimentaire et la durabilité économique des exploitations agricoles.[iii].

Au Malawi, notre partenaire dans les projets de centrales solaires Salima et Golomoti Solar a lancé un programme novateur pour restaurer les moyens de subsistance des agriculteurs. Grâce à ce programme, des sacs PICS (Purdue Improved Crop Storage) ont été distribués aux exploitants. Contrairement aux sacs en toile de jute traditionnels, les sacs PICS sont conçus pour protéger les aliments contre l’humidité et les nuisibles, prolongeant ainsi leur durée de conservation. En adoptant cette solution, les pertes alimentaires ont été réduites de moitié, offrant aux agriculteurs une meilleure sécurité alimentaire et des opportunités économiques accrues. Pour les cultures périssables, notamment les fleurs et les fruits frais, notre investissement dans Inspira Farms a apporté aux producteurs des solutions de stockage adaptées au dernier kilomètre. Au Kenya, au Ghana, en Zambie et au Zimbabwe, Inspira Farms propose des unités d’entreposage réfrigéré abordables et à bon rendement énergétique. Installées au sein des exploitations agricoles, elles refroidissent rapidement les produits récoltés et les maintiennent à température idéale en attendant leur transport. Ce modèle de « refroidissement en tant que service » offre un potentiel considérable, permettant aux agriculteurs de conserver leurs produits tout au long de l’année, en améliorant la sécurité alimentaire et la résilience face aux impacts du changement climatique.

Chez Equatorial Power, les centres d’agro transformation reliés à des mini-réseaux solaires permettent aux agriculteurs d’ajouter de la valeur aux récoltes en réfrigérant, séchant, moulant ou transformant leurs produits, ce qui prolonge leur fraîcheur. Grace à ces centres d’agro transformation et à des entrepôts protégés des nuisibles, les agriculteurs peuvent stocker le blé, le soja et le maïs sous forme de farines destinées soit à un usage personnel ou à la vente lorsque le cours du marché est plus favorable.

À plus grande échelle, le projet Liberia Inland Storage and Distribution Facility propose aux producteurs un accès libre à des entrepôts adaptés à leurs besoins, ainsi qu’à des systèmes avancés de gestion de la chaîne d’approvisionnement et à des unités d’entreposage sécurisées pour limiter les risques de vols.

Acheminer les produits vers les marchés locaux

Pour que les produits conservent leur fraîcheur et que les agriculteurs puissent les vendre à un prix équitable, le transport vers les marchés doit se faire aussi rapidement que possible. Pourtant, jusqu’à présent, le système logistique des petits exploitants agricoles manque cruellement d’organisation, entraînant ainsi des pertes alimentaires évitables.

D’autres facteurs viennent aggraver le problème. L’accès au marché est souvent compliqué par le mauvais état des routes. Les véhicules s’embourbent ou tombent en panne, empêchant les agriculteurs d’atteindre les marchés dans les temps. Pour KIS, cette difficulté était exacerbée par l’absence de liaisons maritimes sûres et abordables entre l’île de Bugala et l’Ouganda continental. Une fois cet obstacle éliminé, les échanges commerciaux sur l’île se sont considérablement améliorés et ont pu s’étendre vers le continent. Les émissions liées au transport, contribuant massivement au changement climatique, rendent essentiel l’accès à des moyens de transport motorisés fiables, tels que les traversiers de Waterbus sur le lac Victoria ou les motos électriques « boda bodas » en Ouganda. De telles initiatives permettent de préserver la fraîcheur des produits pendant leur acheminement.

L’exemple de Mobility for Africa illustre parfaitement comment des transports verts, abordables et adaptés aux terrains ruraux offrent aux agriculteurs, et aux agricultrices en particulier, la possibilité d’atteindre les marchés plus rapidement. Grace aux hambas électriques capables de transporter un plus grand volume de marchandises, certains agriculteurs ont décidé d’augmenter leur production[iv]. Les conducteurs de hambas regroupent leurs récoltes destinées à la vente.

Cette approche, bien qu’informelle, peut considérablement ouvrir l’accès aux marchés plus importants. Mobility for Africa a collaboré avec les autorités laitières locales pour structurer cette pratique de manière plus officielle. Ce principe de regroupement s’est aussi révélé très bénéfique pour les agriculteurs des zones rurales du Malawi. En effet, dans le cadre de projets solaires, le programme de restauration des moyens de subsistance a établi un partenariat entre les agriculteurs locaux et un grand acheteur d’arachides qui s’est engagé à acheter  une quantité convenue auprès de plusieurs agriculteurs à un prix préalablement déterminé.

Viser le marché de l’exportation

Si les produits sont cultivés en grandes quantités, conservés à la bonne température ou ou transformés pour prolonger leur durée de vie, les producteurs peuvent vendre leurs récoltes sur des marchés plus éloignés, dans les pays voisins ou même à l’international. Cela leur permet d’accéder à des marchés plus vastes où ils peuvent obtenir des prix plus avantageux. Outre d’importantes initiatives législatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA)[v], des projets de transport durables ouvrent la voie à de nouvelles routes régionales. Le projet East Africa Marine Transport, par exemple, assurera bientôt des liaisons maritimes entre l’Ouganda et la Tanzanie. L’élargissement du réseau Waterbus du Kenya vers l’Ouganda et la Tanzanie permettra également aux agriculteurs de proposer leurs produits aux riverains du lac et aux populations des petites îles lacustres. Par ailleurs, des agents des douanes, soutenus par l’Office libérien des recettes, seront bientôt affectés au site Liberia Inland Storage and Distribution Facility. Ils y géreront la section sous contrôle douanier de l’entrepôt, notamment en réalisant les procédures de dédouanement pour les importations, ce qui devrait fluidifier les échanges commerciaux.

Que pouvons-nous faire de plus ?

Grâce à l’expérience acquise au fil de nos projets, des efforts sont déployés à travers le continent pour mettre en œuvre des solutions d’irrigation, qu’il s’agisse de la construction à grande échelle de canaux ou de l’adoption de petits systèmes d’irrigation à l’énergie solaire. Les agriculteurs bénéficient également de formations sur les pratiques agricoles durables et ont accès à des informations essentielles telles que des bulletins météorologiques et des conseils en agronomie. Déployées à grande échelle ces initiatives offrent aux agriculteurs l’espoir de maximiser leur rendement en dépit des conséquences du dérèglement climatique. La mise en œuvre de solutions d’entreposage réfrigéré et protégé des nuisibles permettra d’éviter des pertes tout en garantissant aux consommateurs l’accès à des produits frais et à des prix équitables pour les producteurs.

Cependant, accéder à ces marchés demande encore des efforts pour relier les petits exploitants à de grands acheteurs tels que les restaurants, les supermarchés et les grossistes. Pour y parvenir, il faudrait, d’une part, développer des réseaux d’agrégation et encourager des pratiques agricoles coopératives optimisant les avantages de l’irrigation et d’autres intrants agricoles. D’autre part, un accès libre à des installations de stockage adéquates doit être assuré afin de permettre aux agriculteurs d’entreposer leurs produits dans des conditions optimales. Cela contribuera à minimiser le gaspillage et les pertes alimentaires tout en protégeant les récoltes contre d’autres risques liés à l’entreposage non sécurisé, comme le vol.

Le transport constitue une pièce essentielle du puzzle. Grâce à des réseaux de transport sûrs, fiables et écoresponsables, les agriculteurs pourront non seulement acheminer leurs produits vers les marchés dans les plus brefs délais, mais aussi accéder à des marchés régionaux et internationaux plus vastes qui, jusqu’à présent dominés par les grandes exploitations agricoles. Pour véritablement changer la donne, les émissions liées au transport doivent être réduites au minimum, en encourageant l’utilisation de véhicules électriques alimentés par l’énergie solaire, de nouveaux combustibles de soute et de technologies améliorant le rendement des systèmes solaires. Par ailleurs, il est indispensable de maintenir toutes les infrastructures connexes dans des conditions optimales.

Enfin, nous devons tous assumer une responsabilité personnelle face au gaspillage alimentaire. Bien que moins fréquent au sein des ménages d’Afrique subsaharienne, le gaspillage alimentaire des consommateurs est un énorme problème mondial[vi]. Là aussi, toujours plus d’efforts sont déployés pour réutiliser les déchets alimentaires inévitables. Ces derniers peuvent être transformés en   énergie ou compost qui, à une échelle industrielle, servira à nourrir les terres agricoles. Les produits cultivés sur ces terres réintègrent ensuite les chaînes d’approvisionnement et marchés,, illustrant parfaitement l’économie circulaire en action.

 [i] Food waste makes up ‘half’ of global food system emissions – Carbon Brief

[ii] Sutton, William R.; Lotsch, Alexander; Prasann, Ashesh. 2024. Recette pour une planète vivable : Parvenir à zéro émissions nettes dans les systèmes agroalimentaires. Série agriculture et alimentation. Édition de conférence. © Washington, DC: World Bank. http://hdl.handle.net/10986/41468 License: CC BY 3.0 IGO.

[iii] Our impact | ESG | InspiraFarms©

[iv] Adefi-Mtambo-FR.pdf (infracoafrica.com)

[v] AfCFTA Home – AfCFTA (au-afcfta.org)

[vi] Réduction des pertes et gaspillages de nourriture | Nations Unies

Ravi Dhanani

Ravi est directeur de la gestion de l’actif pour InfraCo Africa en Afrique orientale et australe. Ravi gère les aspects qui suivent la clôture financière des projets du portefeuille d’InfraCo Africa, de la construction à la mise en exploitation. Diplômé en ingénierie de production, Ravi a rejoint l’équipe des finances d’InfraCo Africa en 2013 en qualité d’expert-comptable pour ensuite se concentrer sur la gestion d’actifs à partir de 2016. Auparavant, Ravi a travaillé pour PriceWaterhouseCoopers.

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