En coulisse : L’intégration du genre pour un meilleur impact des infrastructures

8th Mar 2023 | Leave a comment | By Lucie Marie

Avant de rejoindre InfraCo Africa, j’ai travaillé en Afrique de l’Ouest, dans le cadre des initiatives du Programme Alimentaire Mondial (PAM), pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Rejoindre InfraCo Africa et PIDG a été motivée non seulement en raison de leurs activités dans les marchés frontière, mais aussi pour leur approche à la fois axée sur l’impact et rigoureuse sur le plan commercial.

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, les regards se tournent sur les progrès accomplis à l’échelle mondiale pour réaliser l’ODD5 (Objectif de développement durable) des Nations Unies. Le mandat de l’Objectif, à savoir « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles », relève d’un devoir tant moral qu’économique. En 2019, une étude de McKinsey Global Institute intitulée « The Power of Parity: Advancing Women’s Equality in Africa » (Le Pouvoir de la parité : promouvoir l’égalité des femmes en Afrique) a révélé que si chaque pays égalait les progrès de ceux qui en faisaient le plus pour combler l’écart entre les sexes sur le continent, 316 milliards de dollars pourraient être ajoutés au PIB de l’Afrique d’ici 2025[i].

Malgré les conséquences de la pandémie, certains pays d’Afrique ont énormément progressé dans ce domaine ces dernières années : davantage de femmes ont été nommées à des postes de direction et à des fonctions politiques, de nouvelles mesures de protection juridiques ont été mises en place et le taux de mortalité maternelle est en baisse[ii]. Il reste toutefois un long chemin à parcourir pour concrétiser les intentions formulées. Je voudrais aborder les efforts réalisés par PIDG et InfraCo Africa pour accélérer la réalisation des dividendes sociaux et économiques générés par l’égalité des genres dans nos pays et secteurs d’activité.

Qu’est-ce qu’investir en intégrant la dimension du genre ?

Intégrer la dimension du genre (« gender-smart investing ») dans les investissements est défini comme « la poursuite d’une stratégie d’investissement qui vise à utiliser les capitaux de manière intentionnelle et mesurable pour lutter contre les inégalités entre les genres et éclairer les décisions d’investissement[iii] ». Il existe des arguments économiques clairs en faveur de l’égalité des genres, outre la réalisation de notre objectif d’impact. En effet, il a été démontré qu’une entreprise « égalitaire » est plus compétitive, rentable et innovante[iv].

PIDG dans son ensemble adhère à une politique d’investissement intégrant le genre (Gender Lens Investing Policy), s’assurant que ses investissements incluent véritablement cette dimension. Cette politique forme une partie du Plan d’entreprise relatif à l’équité, la diversité et l’inclusion des genres (Gender Equity, Diversity and Inclusion Plan). Il définit les mesures et les objectifs annuels de protection et d’autonomisation des femmes et des filles impactées par nos investissements, ainsi qu’en matière d’exemplarité pour l’égalité entre les genres au sein de PIDG.

Par où commençons-nous ?

Lorsqu’un nouveau projet ou une nouvelle opportunité d’investissement se présente, notre équipe d’impact identifie les risques et les possibilités que le développement du projet représente pour les femmes et les filles, et leur potentiel d’accès, ou d’exclusion, aux services infrastructurels proposés. Nous concentrons nos analyses sur la propriété et le leadership des entreprises, la main-d’œuvre, les produits et services, la chaîne d’approvisionnement et la communauté.

Afin de mieux comprendre le contexte de l’exploitation d’un projet et d’établir une référence pour évaluer son impact, nous prenons en compte les risques nationaux et sectoriels pertinents, et étudions les standards de genre dans le pays. Par exemple, nous examinons le type d’emploi des femmes, qu’il s’agisse d’emplois officiels ou non, et la façon dont elles interagissent avec les infrastructures existantes en tant que décisionnaires et utilisatrices finales. Nous cherchons également à comprendre les obstacles potentiels qui pourraient entraver leur engagement, comme le manque de temps, un déficit d’éducation ou l’exclusion financière, et réfléchissons à ce qui relève de la sphère d’influence du projet.

La première exigence a trait au risque.

Le Standard en matière d’égalité des sexes de PIDG définit des exigences HSE minimales pour la conception et la gouvernance des projets. Elles permettent de garantir que le projet ne portera pas préjudice aux femmes et aux filles. Ce document porte principalement sur les pratiques de recrutement et la gestion de l’emploi, l’égalité au travail, l’écoute et le dialogue avec les femmes, la protection contre les violences, le harcèlement fondés sur le sexe, ainsi que l’atténuation des risques au sens large, notamment celui d’exacerber toute exclusion des femmes et des filles face aux avantages de l’infrastructure.

Parallèlement, nous explorons les possibilités qu’offre tout projet en matière d’autonomisation des femmes et des filles.*

Nous examinons ici la manière dont le produit ou le service conférera aux femmes et aux filles un plus grand contrôle sur leur existence, mais aussi la possibilité d’intégrer le marché du travail et les chaînes d’approvisionnement, de favoriser le rôle des femmes dans la gouvernance et de leur procurer, au niveau local, des avantages potentiels. Nous réalisons une évaluation de l’égalité entre les genres afin de mettre en évidence ce potentiel et d’identifier les obstacles. Nous en présentons ensuite les résultats à la société du projet, associés à des recommandations pour un impact positif du projet.

Outre les considérations relatives à l’impact climatique et à l’additionalité financière, les risques et opportunités identifiés par l’évaluation sont essentiels au dossier soumis à nos comités d’investissement.

Quelques exemples concrets 

Dans certains cas, les projets qui nous sont soumis intègrent l’égalité des genres, laquelle est présente dans l’ADN même de la société de projet. Par exemple, Mobility for Africa (MFA) est une entreprise fondée par une femme, où les femmes sont représentées à tous les niveaux de l’activité. Cette entreprise de mobilité électrique vise à répondre aux besoins de transport de la population agricole majoritairement féminine. Elle remédie au manque de temps dont souffrent les agricultrices qui doivent concilier leurs responsabilités domestiques et économiques. Même les tricycles sont conçus en gardant à l’esprit la morphologie féminine, la barre transversale a été supprimée pour le confort des conductrices. Une fois l’évaluation réalisée, nous collaborons avec l’entreprise pour améliorer ses politiques d’égalité des genres, que celles-ci reflètent au mieux ses ambitions, mais aussi pour fournir des objectifs mesurables et des données sur ses activités axées sur la parité hommes-femmes.

D’autres projets peuvent contribuer à l’égalité des genres, mais ne disposent pas encore de systèmes ni de procédures nécessaires pour réaliser ces ambitions. Notre rôle, en tant qu’investisseur proactif, est de les aider à identifier et réaliser ce potentiel. Suite à la collecte de données ventilées par sexe à partir d’enquêtes réalisées auprès d’utilisateurs finaux dans les communautés liées au projet Sierra Leone Mini-grid, nous avons étudié comment l’extension de la Facilité universelle pour l’énergie (FUE) pourrait aider les femmes entrepreneures à développer leur activité, en leur assurant un accès à une énergie abordable et un gain de temps grâce à des appareils ménagers. Le projet vise également à nommer plus de femmes à des postes moins traditionnellement féminins, comme le relevé des compteurs, la maintenance et la facturation, pour identifier les obstacles au recrutement des femmes dans le secteur plus large des énergies renouvelables, où elles sont globalement sous-représentées[v].

Lorsque nous nous engageons dans des initiatives ayant déjà atteint des stades avancés, nous nous efforçons d’améliorer les processus existants. Chez Mawingu, un fournisseur kenyan de services Internet, les femmes représentent 35 % de l’effectif actuel. Avec notre aide, l’entreprise continuera à améliorer ce chiffre en proposant des aides et des formations pratiques pour que les femmes occupant des postes non traditionnels progressent dans leur carrière. Le projet offrira un accès Internet abordable en zone rurale, mais il cherchera également à remédier à la faible utilisation d’internet parmi les Kényanes[vi] en leur proposant des formations ciblées pour améliorer leurs compétences et connaissances en la matière. La Journée internationale des droits des femmes de 2023 porte spécifiquement sur ce fossé numérique et sur l’accès à la technologie comme outil pour favoriser l’égalité des .

Sommes-nous sûrs que les retombées sont réelles ?

Nous tirons parti de notre rôle d’investisseur siégeant au conseil d’administration de chaque entreprise de projet pour garantir que les avantages prévus par la GEA (évaluation de l’égalité entre les genres) sont concrétisés. Nous suivons les progrès relatifs aux objectifs fixés dans l’évaluation et aux résultats plus larges du projet, par le biais de comptes rendus réguliers.

Les données ventilées par sexe que nous recueillons et nos enquêtes auprès des utilisateurs finaux nous permettent d’identifier les améliorations effectuées, les points à améliorer et les leçons à tirer et à partager avec l’ensemble du groupe PIDG.

C’est un apprentissage constant.

Nous voulons participer à un changement radical en matière d’égalité des genres en Afrique subsaharienne et dans le monde. Il nous faut pour cela partager nos connaissances et apprendre de celles des autres. À cette fin, PIDG a rejoint la communauté 2X Global[vii], une plateforme sectorielle réunissant des gestionnaires de fonds, des institutions financières de développement, des régimes de retraite, des organisations philanthropiques, des intermédiaires et d’autres acteurs dont les activités sont fortement axées sur la parité hommes-femmes. Cette communauté est née de l’initiative Défi 2X, initialement conçue pour mobiliser les capitaux des IFD et du secteur privé, dans le but de promouvoir les opportunités offertes aux femmes en tant que cheffes d’entreprises, employées et consommatrices. Elle s’étend aujourd’hui à l’ensemble des capitaux, tant dans les marchés développés qu’émergents.

En participant à ce dialogue élargi, nous sommes en mesure de comparer notre travail à celui d’autres acteurs, et de démontrer aux investisseurs la valeur ajoutée d’une meilleure parité entre les hommes et les femmes.

La question de genre fait partie d’un tout

La question du genre se retrouve dans d’autres priorités chez PIDG. Comme je l’ai indiqué plus haut, il existe des liens évidents entre le genre et la santé et sécurité. Par exemple, les femmes sont plus susceptibles d’être victimes de violences liées au sexe et de travailler au sein de l’économie informelle où les réglementations en matière d’emploi sont peu rigoureuses, voire inexistantes. Le genre n’est que l’une des nombreuses facettes de l’identité. En tant qu’investisseur dans l’infrastructure, PIDG examine la relation entre le genre et le handicap, de même que la façon dont cette relation affecte la conception et l’accessibilité de nos projets. C’est pour cela que les équipes d’impact chez InfraCo Africa et PIDG abordent les risques et les opportunités comme un continuum.

Les inégalités de genre présentent un obstacle supplémentaire pour les femmes et les filles confrontées aux effets du changement climatique[viii]. C’est notamment le cas dans les pays à faible revenu, où les femmes dépendent de l’agriculture à petite échelle, et où les faibles niveaux d’éducation peuvent entraver leur accès à des informations opportunes qui pourraient les aider à se préparer, faire face et surmonter les difficultés liées aux chocs climatiques. De manière générale, les femmes assument la majorité des tâches domestiques et familiales, ce qui les expose à des risques importants liés à la santé et sécurité et compromet leur capacité à quitter les régions vulnérables  ou à entreprendre une activité rémunérée supplémentaire pour compléter leurs revenus. Ainsi, il est avéré que le changement climatique affecte de manière disproportionnée les femmes et les filles et qu’il exacerbe les inégalités de genre existantes[ix].

À l’inverse, il a été démontré qu’une communauté plus égalitaire résistait mieux aux chocs climatiques et économiques. En effet, lorsque l’occasion se présente, les femmes investissent plus largement leurs ressources dans la sécurité de leur famille et le bien-être de la communauté, en puisant dans leurs compétences en tant que gestionnaires de ressources et responsables communautaires. [x]De plus, les opinions et expériences des femmes et des filles sont essentielles pour assurer une transition juste vers la neutralité carbone. Il est indispensable d’intégrer un large éventail de perspectives dans la conception de solutions climatiques pour assurer leur réussite, d’autant plus que les femmes et les filles représentent près de la moitié de la population mondiale[xi].

L’engagement continu de nos actionnaires, équipes et partenaires de projet œuvre à intégrer la dimension du genre dans les projets du portefeuille PIDG et développer un environnement propice aux femmes et filles dans le domaine de l’infrastructure. Elles seront alors en mesure de contribuer à une croissance économique inclusive en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et du Sud-est, et d’affronter les défis auxquels l’humanité est confrontée.

*PIDG définit l’autonomisation des femmes comme « donner aux femmes et aux filles un accès équitable et un plus grand contrôle sur les avantages créés [par le développement des infrastructures], qui aboutissent à une plus grande autonomie financière, à un pouvoir de décision accru et à la remise en question des normes sociales discriminatoires ». 

[i] https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/featured%20insights/gender%20equality/the%20power%20of%20parity%20advancing%20womens%20equality%20in%20africa/mgi-the-power-of-parity%20advancing%20womens%20equality%20in%20africa.pdf

[ii] https://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2022.pdf

[iii] https://gendertoolkit.bii.co.uk/gender-smart-investing/#:~:text=Gender-smart%20investing%20is%20defined%20as%20an%20investment%20strategy,decision-making%20to%20achieve%20greater%20financial%20and%20social%20outcomes.

[iv] https://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/egalite-hommes-femmes-demarche-economiquement-rationnelle.htm

[v] https://www.irena.org/events/2021/Mar/Gender-Equality-for-an-Inclusive-Energy-Transition

[vi] https://www.gsma.com/mobilefordevelopment/wp-content/uploads/2019/03/GSMA-Connected-Women-The-Mobile-Gender-Gap-Report-2019.pdf

[vii] https://www.2xglobal.org/

[viii] https://static1.squarespace.com/static/6089294d7cb43b4cffb93591/t/60ec750cdcef4a49b3a96120/1626109200947/GenderSmart+Climate+Report.pdf

[ix] https://www.unwomen.org/fr/nouvelles/article-explicatif/2022/03/inegalites-entre-les-sexes-et-changements-climatiques-des-enjeux-etroitement-lies

[x] https://www.resiliencelinks.org/resources/reports/state-knowledge-gender-and-resilience

[xi] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.POP.TOTL.FE.ZS

Lucie Marie

Lucie est analyste en impact sur le développement au d’InfraCo Africa. À ce titre, elle se charge d’évaluer les différentes opportunités de projets ainsi que de monitorer le portefeuille, pour s’assurer de leur alignement avec la stratégie d’InfraCo Africa et de leur impact sur les communautés, les marchés et la planète. Avant de rejoindre InfraCo Africa, Lucie a travaillé en tant que Responsable des questions sur le Genre pour le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies à Dakar, au Sénégal. Lucie est diplômée d’un double Master en Politiques Publiques (MPP) et en Administration Publique (MPA).

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