En Afrique, la mobilité électrique transforme les marches émergents

6th Dec 2023 | Leave a comment | By James Wakaba

En tant que gestionnaire d’actifs auprès d’InfraCo Africa, société de PIDG, mon travail consiste à collaborer avec nos partenaires de projets et d’autres parties prenantes, afin d’intégrer les normes les plus élevées en matière d’intégrité commerciale et de santé, de sécurité, d’environnement et de normes sociales (HSES) dans l’ensemble de nos projets. Notre objectif ultime est de développer des entreprises rentables capables d’attirer des investissements supplémentaires dans des marchés difficiles.

Parmi les actifs que je gère figurent les deux entreprises de mobilité électrique d’InfraCo Africa : Zembo Electric Motorcycles en Ouganda et Mobility for Africa au Zimbabwe. Cet article sera donc consacré à la mobilité électrique, un secteur émergent, passionnant et qui représente, selon notre entreprise, un énorme potentiel de développement en Afrique.

Les défis du transport sur le continent

Depuis leur indépendance au début des années soixante, les pays d’Afrique de l’Est ont largement évolué avec des systèmes de transport privés non coordonnés. La plupart des voitures sont importées, d’occasion, des marchés japonais et européens et sont souvent mal adaptées aux routes africaines où la poussière et les nids-de-poule causent des pannes plus fréquentes et nécessitent un entretien plus régulier

Dans les centres urbains, les couloirs de bus sont rares, et les compagnies de train urbain, tram et bus qui transportaient les citadins dans les années 70 et 80 ont été évincées vers les banlieues par des entreprises de minibus indépendantes ou détenues par de grands groupes, appelés Matatus au Kenya, Dala dala en Tanzanie ou encore Taxis en Ouganda. Ces services se caractérisent par l’absence d’horaires, une concurrence féroce et, souvent, peu de respect pour le code de la route. Dans les zones rurales, il existe peu de services de bus réguliers et presque pas de transport ferroviaire, laissant la place à des véhicules informels. Le transport à deux roues est un développement récent tant dans les zones urbaines que rurales, un phénomène qui a pris de l’ampleur dans les années 2000 à la suite de mesures d’incitation à la propriété.

La plupart des véhicules sont équipés d’un moteur à combustion interne (MCI) hautement polluant, dont les gaz d’échappement contribuent à la croissance des troubles respiratoires et oculaires, particulièrement dans les zones urbaines congestionnées. La fluctuation des prix du pétrole a entraîné une hausse régulière du coût à la pompe dans les marchés Est-Africains, rendant l’utilisation de véhicules à MCI de plus en plus inabordables. En outre, ces véhicules sont coûteux à l’entretien, et requièrent des réparations et remplacements fréquents des pièces mobiles.

 

La mobilité électrique est-elle la solution ?

L’émergence ces dernières années des VE (véhicules électriques) sur les marchés africains n’est pas vraiment surprenante, compte tenu de leurs avantages évidents par rapport aux véhicules à MCI (moteur à combustion interne). L’expansion de l’infrastructure de charge de batteries alimentées par l’énergie solaire et l’allègement du cout de maintenance rendent les véhicules électriques moins chers à l’usage et protègent leurs propriétaires des fluctuations mondiales du cours du pétrole.

Outre les économies de coûts, élargir l’accès aux VE (Véhiculent électriques) peut apporter un éventail d’avantages.

En effet, ces derniers émettent moins de bruit et de particules polluantes, rendant les villes et zones périurbaines plus calmes et plus propres. Le déploiement d’un réseau de bus électriques ou d’autres grands véhicules de transport peut décongestionner les centres-villes et réduire les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Dans les zones où les coupures de courant sont fréquentes, les VE peuvent faire office de source d’alimentation de secours pour les équipements essentiels tels que les machines médicales dans les cliniques, les réfrigérateurs chez les particuliers ou les ordinateurs dans une entreprise.

En zone rurale, où les transports sont rares et coûteux, les VE peuvent réduire les pertes agricoles en diminuant le temps de transport des produits du champ au marché. Ils améliorent les résultats en matière de santé en transportant les malades à l’hôpital et en connectant les services de santé avec les communautés rurales. Les VE améliorent également la viabilité des mini-réseaux solaires par un usage plus productif de l’énergie. Enfin, d’après notre expérience, les véhicules électriques à deux ou trois roues atteignent les zones rurales reculées très difficiles d’accès pour les véhicules plus lourds en raison du mauvais état des routes.

 

Quel est le rôle d’InfraCo Africa ?

Avec le soutien de PIDG et de nos propriétaires, à savoir les gouvernements du Royaume-Uni (FCDO), des Pays-Bas (DGIS) et de la Suisse (SECO), InfraCo Africa s’est jointe à la révolution VE en 2020. Elle a alors investi dans NopeaRide, le service de taxi d’EkoRent opérant à Nairobi au Kenya. La pandémie COVID-19 a eu un impact significatif sur l’entreprise, supprimant la demande du marché pendant plus de deux ans. Elle n’a donc pas pu rivaliser dans ce nouveau marché complexe. Cette expérience nous a permis d’acquérir un savoir qui oriente nos investissements actuels dans le secteur. Le succès d’une telle entreprise requiert une flotte suffisamment grande pour garantir que les clients qui sollicitent le taxi “vert” ne soient pas pénalisés une attente trop longue. Cependant, une flotte si importante peut constituer un défi financier pour une petite entreprise, à moins conclure des partenaires pour financer la flotte et des accords avec des acheteurs institutionnels ; cependant, les deux sont difficile à établir dans de nouveaux marchés susceptibles d’être perçus comme trop risqués par les investisseurs traditionnels.

Les véhicules à quatre roues rencontrent également le problème de l’autonomie de la batterie et la durée de son chargement. Avec les véhicules plus petits, l’échange de batteries permet aux conducteurs de remplacer une batterie déchargée par une autre entièrement chargée, ce qui garantit un service fluide pour les passagers. Ce système d’échange est également générateur de revenus pour l’entreprise de véhicules électriques, Il est donc important qu’une infrastructure de recharge adéquate soit mise en place dans la zone d’activité et que le service soit abordable pour les conducteurs, assurant ainsi la compétitivité face aux offres des véhicules traditionnels.

L’expansion des infrastructures d’échange des batteries forme l’élément clé de nos investissements dans la croissance de Zembo et de Mobility for Africa. Notre engagement consiste à augmenter le nombre total de batteries disponibles, à veiller à leur durée de vie optimale et à déployer de nouvelles stations de recharge. Certaines seront connectées au réseau, d’autres seront alimentées à l’énergie solaire afin de maximiser les avantages environnementaux du passage à l’électrique.

Fabrication, assemblage et maintenance

L’industrie automobile en Afrique étant à ses balbutiements, la plupart des véhicules électriques sont encore importés. Pourtant, importer des véhicules prêts à l’emploi est coûteux, financièrement et écologiquement, et va donc à l’encontre de nos efforts pour lutter contre le changement climatique.

En important des pièces détachées pour un assemblage local, nous créons des emplois qualifiés dans le montage et l’entretien de véhicules. Cette approche valorise par ailleurs les matériaux disponibles localement, comme les textiles, le cuir et le fer, le cuivre et les plastiques de récupération. Un assemblage local peut aussi faciliter l’accès aux marchés régionaux (la Communauté d’Afrique de l’Est, par exemple, soutient la production locale) et raccourcir la chaîne d’approvisionnement. Tirer parti de ces avantages pourrait permettre aux entreprises de rendre leurs véhicules plus compétitifs.

Zembo et Mobility for Africa ont toutes deux lancé un programme visant à former leurs équipes à l’assemblage, la maintenance et la réparation des véhicules électriques, des batteries et des bornes de recharge. Ces compétences sont de plus en plus recherchées, dans les secteurs en croissance des véhicules électriques et des énergies renouvelables.

 

Qu’en est-il des batteries ?

Dans le secteur, les batteries des VE sont un sujet épineux, notamment l’amélioration de leurs performances, l’augmentation de leur autonomie et leur recyclage en vue d’éviter que les minéraux précieux ne finissent à la décharge. J’estime que le secteur a réalisé d’importants progrès et nous nous efforçons d’y apporter notre contribution.

Le département de Recherche et Développement de Zembo a ainsi obtenu une subvention de PIDG Technical Assistance pour améliorer les performances des batteries de motos et des systèmes de gestion. Cette subvention a permis à Zembo de perfectionner la technologie utilisée dans ses batteries et d’adapter la conception des motos pour minimiser l’impact des terrains accidentés sur la durée de vie des batteries. La subvention a aussi soutenu l’élaboration des pratiques HSE de l’entreprise, la formation des conducteurs et l’amélioration du contenu local.

Les techniques de reconditionnement des batteries ont également fait leur chemin, avec la possibilité de donner aux batteries une deuxième et troisième vie avant leur recyclage. Lorsqu’une batterie de moto tombe en panne, l’équipe de techniciens de Zembo dispose des compétences nécessaires pour identifier le problème, effectuer les réparations requises et recycler les éléments en batteries externes, ondulateurs et autres batteries neuves.

L’utilisation statique des batteries de VE d’occasion est un autre domaine d’intérêt croissant. Nous explorons comment utiliser les batteries des hambas de Mobility for Africa comme accumulateurs dans les stations de batteries alimentées à l’énergie solaire. Une solution de stockage permettrait d’élargir l’offre d’un service de recharge et d’échange de batteries à celui d’approvisionnement en électricité verte pour les communautés résidant à proximité des stations.

 

Le transport non polluant : sommes-nous à la croisée des chemins ?

Je pense que la tendance est à une transition à grande échelle vers le transport électrique, tant pour les entreprises de transport privées que publiques, tel que le réseau de Bus Rapid Transit qui gagne en popularité sur le continent.[i]

Ces dernières années, l’expansion de l’écosystème des VE, que ce soit au niveau des technologies, des connaissances, de l’infrastructure de recharge, des modèles commerciaux, du financement ou de la réglementation, signifie que le secteur est prêt à passer à la vitesse supérieure. Cette évolution entraînera non seulement une amélioration de la qualité de l’air et une diminution de la pollution sonore, mais aura aussi un impact majeur sur le changement climatique grâce à la réduction des émissions de CO2. Il est estimé qu’à Kampala seulement, les émissions de CO2 pourraient chuter de 36 % si les motos électriques remplaçaient les véhicules à MCI appartenant à la ville.[ii]

Les conducteurs et les passagers comprennent de mieux en mieux le produit, et grâce aux nombreuses consultations avec l’industrie, la réglementation et mesures incitatives commencent à se mettre au pas. Au Kenya par exemple, les régimes tarifaires appliqués aux véhicules électriques sont inférieurs à ceux des véhicules à MCI[iii]. En Ouganda, l’autorité réglementaire nationale a récemment annoncé que l’importation de véhicules hybrides et électriques, et de leurs pièces détachées, sera exonérée de la nouvelle taxe environnementale.[iv] Enfin, au Rwanda, des exonérations fiscales similaires ont été mises en place et, parallèlement aux efforts visant à dissuader l’achat de véhicules à MCI, le gouvernement a mis en œuvre des tarifs favorables pour la recharge des VE.[v] Le secteur voit également arriver des acteurs plus importants disposant de capitaux conséquents. Pour une industrie à forte intensité de capital qui n’atteint son seuil de rentabilité qu’à grande échelle, cela pourrait changer la donne.

Avec l’appui de PIDG Technical Assistance, Mobility for Africa se fait le champion du développement de l’écosystème des VE au Zimbabwe. L’entreprise œuvre à élaborer un programme reconnu de formation des conducteurs qui incorpore des compétences entrepreneuriales visant à outiller les agriculteurs et, en particulier, les agricultrices, pour que tous tirent profit au maximum d’un usage plus productif des VE. Cette initiative fait écho au travail entrepris dans le secteur des mini-réseaux solaires – dans nos projets KUDURA et Equatorial Power par exemple, et reconnait que stimuler la demande d’énergie propre est essentiel pour réaliser l’impact économique de l’accès à l’énergie pour les particuliers tout en créant des entreprises de mini-réseau durables et rentables.

Pour les cinq à dix prochaines années, je m’attends à ce que les acteurs du secteur soient moins nombreux, mais plus résilients. Ceux qui perdureront auront des produits plus recherchés, une offre élargie d’infrastructure de recharge et des modèles commerciaux comportant de meilleures propositions de valeur pour leurs clients. Chez InfraCo Africa, nous sommes ravis de contribuer à l’impact sur le développement durable en innovant à la pointe de la mobilité électrique sur les marchés en Afrique.

[i] With Bus Rapid Transit, African Cities Are Riding Toward a Better Future (worldbank.org) Consulté le 8 nov. 2023.

[ii] Electrifying motorcycle taxis in Kampala, Uganda, shows air pollution benefits | University of Michigan News (umich.edu) Le rapport original peut être consulté ici: Voir l’article (google.com) Consulté le 7 nov. 2023

[iii] Kenya’s New Special Tariff For E-Mobility – CleanTechnica Consulté le 8 nov. 2023.

[iv] Exempt electric vehicles and hybrids from environmental levy (observer.ug) – Consulté le 2 nov. 2023.

[v] In face of rising air pollution, Rwanda turns to electric vehicles (unep.org) – Consulté le 21 nov. 2023.

James Wakaba

James travaille dans le secteur de l’énergie depuis vingt ans. Il a participé à de nombreux projets d’efficacité énergétique, de production d’énergie renouvelable et de développement de politiques et d’actifs en matière de carbone. Auparavant, il a travaillé en tant que responsable de projets et d’ingénierie pour des multinationales dans le secteur de la production. Dans ce cadre, il a contribué à la construction, à l’exploitation et à la maintenance d’usines.

 

 

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