En coulisses : Investir dans les femmes pour avancer vers les objectifs de développement durable de l’ONU

8th Mar 2024 | Leave a comment | By Claire Jarratt

Récemment, le lancement d’un nouveau navire a été célébré à Entebbe, en Ouganda. C’est à ma collègue Brenda Omuombo de PIDG qu’est revenu l’honneur de le baptiser : le « M.V.Mpungu ». Il s’agit du premier transbordeur roulier de ce type à assurer un service régulier sur le lac Victoria. Je suis impliquée dans le projet EAMT (East Africa Marine Transport) depuis sa création et je suis ravie de le voir devenir une réalité : le navire de 96 mètres est sur le point d’être rendu opérationnel et devrait effectuer son voyage inaugural plus tard cette année.

Selon la tradition maritime, la mise à l’eau d’un navire devrait être effectuée par une femme. Cette pratique, dit-on, porterait chance et garantirait la sécurité de l’équipage et des passagers. Pourtant, en 2021, malgré cet important rôle cérémoniel qui leur est conféré, les femmes ne comptaient que pour 1,2 % des effectifs de l’industrie marine dans le monde[i].  En Afrique de l’Est, EAMT agit pour remédier à ce déséquilibre, ainsi, 40 % des matelots de pont destinés à travailler sur le navire seront des femmes, la moitié d’entre elles  rejoindra l’équipage dès le mois d’avril. Les autres suivront une année de formation supplémentaire leur ouvrant le rang d’officier. Pour en arriver là , il a fallu investir dans ces personnes et déployer les efforts nécessaires pour éliminer les obstacles qui les empêchaient d’intégrer ce secteur.

 

Au-delà du transport maritime, il est crucial de veiller à ce que les femmes et les filles ne soient pas laissées à l’écart alors que les pays d’Afrique subsaharienne développent de nouveaux services d’infrastructure. Investir dans les femmes est essentiel pour accélérer les progrès vers la réalisation de l’ODD 5 (égalité entre les sexes), mais aussi de l’ensemble des ODD des Nations unies. C’est ce point que je souhaite approfondir ici.

Pourquoi est-il nécessaire d’investir dans les femmes et les filles ?

Il s’agit avant tout d’une question d’équité. Les Nations unies ont déclaré qu’à l’échelle mondiale, les femmes gagnaient 20 % de moins que les hommes et consacraient 2,5 fois plus de temps aux tâches ménagères et aux soins[ii].  Pour de nombreuses femmes en Afrique subsaharienne, ces inégalités sont exacerbées par les normes sociales et les stéréotypes. Les femmes et les filles du continent rencontrent également des contraintes pratiques comme l’inaccessibilité à l’éducation, aux transports, à l’électricité, à l’eau courante et à l’électroménager, alors qu’y accéder leur permettrait d’alléger la charge des travaux domestiques qui leur incombent.

Autre argument économique de poids : les estimations suggèrent qu’une meilleure égalité entre les sexes pourrait, d’ici 2025, ajouter près de 316 milliards de dollars US au PIB de l’Afrique[iii].  Du point de vue d’un investisseur, il a été démontré que les actions en faveur de l’égalité des sexes stimulent la compétitivité, améliorent la rentabilité et élèvent les niveaux d’innovation que nous pouvons attendre des entreprises et projets que nous appuyons.[iv]

Enfin, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de négliger les compétences et les perspectives des femmes et des filles, soit 50 % de la population mondiale, si nous voulons réussir à relever les grands défis mondiaux tels que le changement climatique.

 

Alors, par où commencer ?

En tant que directrice des investissements et des risques chez InfraCo Africa, société de PIDG, je participe à la vérification, avant toute décision d’investissement, des projets qui nous sont proposés. Nous examinons chaque proposition sous l’angle du genre, en plus de nous assurer que les femmes et les filles ne sont pas négativement affectées par les projets d’infrastructure, nous voulons nous assurer qu’elles puissent s’impliquer activement dans la conception des projets, être employées par un projet ou sa chaîne de valeur et bénéficier des services fournis à leurs communautés.

L’équipe “Impact” de PIDG est composée d’experts issus des diverses unités du Groupe, ils associent les évaluations des retombées sanitaires, sécuritaires, environnementales et sociales de ces nouveaux projets d’infrastructure sur la population féminine. Ils travaillent également à identifier des moyens pour améliorer nos projets et apporter un effet de levier à nos investissements, afin de renforcer concrètement l’autonomie des femmes et des filles.

Renforcer les bases : la santé et l’éducation

Pour que les femmes puissent pleinement participer à l’économie de leur pays, elles doivent être en bonne santé et instruites, de même qu’avoir accès à des services de planification familiale.

L’infrastructure joue un rôle clé à chaque étape de la vie d’une personne : l’électricité dans les cliniques permet des accouchements à moindre risque ; l’accès à l’eau potable, à des services d’hygiène et à la vaccination peut prévenir les maladies infantiles ; l’irrigation et l’entreposage frigorifique peuvent améliorer la qualité des aliments et la sécurité alimentaire ; et les transports sûrs permettent aux jeunes de se rendre à l’école.

Les investissements d’InfraCo Africa visent à combler le déficit de telles infrastructures à travers l’Afrique subsaharienne.

Nos projets KUDURA et Sierra Leone Mini-grid connectent des cliniques rurales au réseau électrique, garantissant une conservation au frais des vaccins et des accouchements en toute sécurité, à toute heure de la nuit. Notre projet d’irrigation Chiansi a obtenu un financement de PIDG Technical Assistance (PIDG TA) pour la construction d’une nouvelle maternité. Avec la collaboration du gouvernement Zambien seront fournis des équipements et le personnel nécessaires au fonctionnement de cette nouvelle unité. Au Malawi, nous avons travaillé avec nos partenaires à la réalisation du projet Salima Solar afin de tirer parti des subventions destinées à l’élaboration d’un programme régional de lutte contre la mortalité maternelle et infantile élevée. Au Zimbabwe, les « hambas» (tricycles électriques) de Mobility for Africa permettent aux professionnels de la santé d’administrer les vaccins contre la polio au sein des communautés isolées.

KUDURA a mis à l’essai un système de pompage et de purification de l’eau pour les résidences et les entreprises du comté reculé de Turkana, au Kenya, tandis que le projet Kalangala Infrastructure Services apporte depuis 2015 de l’eau potable aux populations de l’île Bugala, en Ouganda, réduisant l’incidence des maladies hydriques.[v]

En Zambie, grâce à nos projets d’irrigation Chiansi et Chanyanya, les exploitants agricoles sont en mesure d’augmenter leurs rendements malgré le changement climatique. Notre investissement le plus récent témoigne de notre engagement dans un projet encore plus ambitieux : faciliter le déploiement, par SunCulture, des systèmes d’irrigation à l’énergie solaire, connectés à l’Internet des objets, qui seront utilisés par des centaines de milliers de petits agriculteurs à travers l’Afrique subsaharienne. La solution de SunCulture remplacera les pompes diesel et se révèle novatrice puisqu’elle prévoit d’utiliser des crédits carbone afin de garantir une irrigation qui reste financièrement accessible pour les petits exploitants. Après la récolte, InspiraFarms Cooling et Equatorial Power aident les agriculteurs à minimiser les pertes alimentaires en proposant des installations de stockage et de traitement modernes.

Grâce à nos projets solaires hors réseau, les filles peuvent continuer à étudier en soirée, leurs performances scolaires s’améliorent et de nouvelles possibilités d’éducation s’ouvrent à elles.

 

Investir notre expertise et nos moyens financiers pour combler les besoins fondamentaux des femmes et des filles est fondamental pour atteindre, les ODD 2 (Faim « zéro »), 3 (Bonne santé et bien-être), 4 (Éducation de qualité), 6 (Eau propre et assainissement) et 7 (Énergie propre et d’un coût abordable).

Résoudre la question de la « pauvreté en temps » pour développer l’emploi féminin

Comme je l’ai évoqué précédemment, de nombreuses femmes consacrent la majorité de leur temps au travail domestique, ce qui réduit considérablement leurs possibilités d’exercer un emploi rémunéré.

L’accès aux hambas électriques dans les zones rurales du Zimbabwe a permis aux femmes d’effectuer plus rapidement des tâches domestiques telles que l’accompagnement des enfants ou le transport du bois de chauffage et de l’eau. Elles disposent alors de plus de temps pour cultiver la terre en plus  d’autres activités économiques. L’une d’elles nous a raconté qu’avant l’arrivée des hambas, elle devait transporter à pied sur 12 km son unique seau de tomates, pour se rendre au marché le plus proche et y vendre les quelques produits ayant résisté au soleil. À présent, les coopératives féminines ayant accès à des véhicules électriques,  peuvent transporter leurs produits vers le marché plus rapidement et en plus grande quantité, elles évitent ainsi des pertes trop importantes et peuvent accroître leur production pour répondre à la demande du marché[vi].

En équipant les ménages d’appareils domestiques abordables, le projet KUDURA a permis aux femmes de gagner du temps sur les tâches ménagères et de le réinvestir dans des activités commerciales. Bénéficiant de l’éclairage qui rallonge les journées et d’appareils électriques tels que des machines à coudre et des tondeuses à cheveux, les femmes des zones rurales se lancent dans la création de petites entreprises pour compléter les revenus de leur foyer.

Au Malawi, nous avons tiré parti des subventions de PIDG TA pour financer le forage de puits destinés à desservir les communautés proches de nos centrales à Salima et Golomoti. Grâce à ces puits, les femmes et les filles n’auront plus à parcourir de longues distances pour se rendre à une source d’eau. Dans le cadre de cette initiative, des formations ont été assurées aux membres du Comité de l’eau, dont de nombreuses femmes,  afin de gérer et entretenir l’approvisionnement en eau potable de leurs communautés, réduisant ainsi le temps perdu à s’occuper de proches malades.

L’accès équitable des femmes au marché du travail,  soutiendra les efforts plus larges vers un avenir où chacun peut bénéficier d’un emploi décent et une croissance économique pour tous (ODD 8), en construisant  les villes et les communautés durables de l’avenir (ODD 11).

Investir dans le développement et l’émancipation des femmes

Le nombre croissant de femmes sur le marché du travail nécessite leur accès aux compétences et à la formation indispensables pour prétendre à des postes dans le secteur des infrastructures et au-delà.

Au cours de l’année universitaire 2022-2023, 43 % des inscriptions aux universités kenyanes concernaient des femmes.[vii] La majorité de ces étudiantes fréquentent les universités de la capitale, Nairobi[viii]. En outre, notre investissement dans Acorn aide l’entreprise à construire des logements étudiants abordables en ville. Les logements d’Acorn ont été spécifiquement conçus pour garantir la sécurité des étudiantes grâce à un accès par identification biométrique, à des étages réservés aux femmes et au recrutement d’un personnel de sécurité féminin.

À l’image de ce que nous avons accompli pour l’équipage d’EAMT, nous encourageons les femmes à intégrer le secteur des infrastructures en leur proposant des formations professionnelles auxquelles elles peuvent accéder directement. En Ouganda, notre société de motos-taxis électriques Zembo emploie 25 conductrices, elle s’applique également à augmenter le nombre de techniciennes responsables d’échanger et reconditionner les batteries, ainsi qu’à les former pour intégrer l’économie verte en plein essor en Afrique. Avec le soutien de PIDG TA, Mobility for Africa développe un programme certifié de formation technique et entrepreneuriale, pour soutenir le développement de l’écosystème de mobilité électrique au Zimbabweet  encourage vivement les femmes à y participer.

Je peux personnellement en témoigner, les femmes ont également un rôle clé à jouer au sein du conseil d’administration. Directrice des investissements et des risques chez InfraCo Africa, je siège aux conseils d’administration d’Off-grid Power en Sierra Leone et d’InfraCredit Nigeria, je suis également mère de jeunes enfants. Les femmes sont de plus en plus présentes aux postes d’encadrement dans notre secteur, plusieurs sociétés de notre portefeuille sont dirigées par des femmes, notamment Mobility for Africa et Africa GreenCo. Chez Acorn, la personne responsable de la gestion des SCPI est une femme, tout comme le sont la majorité des membres de son conseil d’administration. Un autre investissement prometteur est celui que nous avons réalisé dans Mawingu Telecoms au Kenya, dès la première année de son partenariat avec InfraCo Africa, Mawingu a augmenté la proportion de femmes aux postes de direction à 36 %, et l’entreprise envisage d’atteindre 50 % cette année. En 2024, ce fait ne devrait pas mériter d’être souligné, nous devons continuer à normaliser la participation des femmes à tous les niveaux d’une entreprise ;  et veiller à présenter aux femmes et filles de forts modèles et sources d’inspiration, tout en poursuivant notre engagement à créer un environnement propice à la réalisation de leur plein potentiel.

Garantir aux femmes et filles africaines une éducation de qualité (ODD 4) permettra d’augmenter les revenus des ménages et d’œuvrer à une industrie, une innovation et une infrastructure (ODD 9) essentielles pour l’avenir du continent.

 

Les femmes et le changement climatique

S’il y a lieu de se réjouir de la croissance de l’effectif féminin dans l’industrie, une grande partie des progrès accomplis pourrait être anéantie par les effets du changement climatique qui a un impact  disproportionné sur les femmes et les filles.

Dans un article récent publié par Rachel Kyte, membre du conseil d’administration de PIDG, et Kathy Baughman McLeod, son homologue à Climate Resilience for All[ix], les autrices ont conclu que les femmes risquent 14 fois plus de mourir dans une catastrophe naturelle que les hommes, et sont plus susceptibles de souffrir d’insécurité alimentaire[x]. La statistique la plus frappante citée dans cet article est peut-être que 80 % des « migrants climatiques » sont des femmes et des filles. Elles deviennent vulnérables à l’exploitation et aux mariages précoces, sans accès aux soins de santé et à l’éducation, [xi] ce qui nous ramène à ces mêmes besoins fondamentaux que nous nous efforçons de combler…

Chez InfraCo Africa et PIDG, nous sommes engagés à lutter contre les changements climatiques (ODD 13), en développant des infrastructures climato-résilientes qui favorisent un développement économique durable. Notre mission bénéficie du soutien solide des Propriétaires (les gouvernements du Royaume-Uni (FCDO), des Pays-Bas (DGIS) et de la Suisse (Seco)), ainsi que nos partenaires de projets qui reconnaissent que les infrastructures développées aujourd’hui devront aider les communautés et les particuliers à s’adapter et résister à un climat futur imprévisible.

Accélérer le changement

Bien que des défis subsistent, des changements sont en cours.

L’un des principaux obstacles à la participation des femmes à l’économie est le manque d’accès au crédit qui pourrait leur permettre de  développer leurs entreprises, de réinvestir les profits pour améliorer leurs moyens de subsistance personnels et contribuer à la croissance économique au sens large[xii].  Pour remédier à ce problème, nous avons intégré une perspective de genre dans les critères d’investissement des mécanismes de rehaussement de crédit que nous soutenons. Nous pourrons non seulement ouvrir l’accès aux garanties à un plus grand nombre d’entreprises dirigées par des femmes, mais aussi nous assurer que les entreprises soutenues par InfraCredit Nigeria et Dhamana Guarantee Company au Kenya accordent la priorité à l’inclusion des femmes, à tous les niveaux de leur activité.

Le modèle de rehaussement de crédit peut aller encore plus loin, en 2023, InfraZamin Pakistan, soutenu par nos sociétés sœurs du groupe PIDG, a garanti la première obligation de genre jamais émise en Asie du Sud. En apportant son soutien aux entreprises de micro-infrastructure dirigées par des femmes au Pakistan, la société prouve que des changements progressifs peuvent se produire et qu’en investissant dans les femmes, nous, en tant que sociétés de PIDG, pouvons jouer un rôle déterminant dans l’accélération de ce changement.

 

[i] New BIMCO/ICS Seafarer Workforce Report warns of serious potential officer shortage | International Chamber of Shipping (ics-shipping.org)
[ii] Journée internationale de l’égalité de rémunération | Nations Unies
[iii] Advancing women’s equality in Africa | McKinsey
[iv] https://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/egalite-hommes-femmes-demarche-economiquement-rationnelle.htm
[v] KIS – Kalangala Infrastructure Services Ltd
[vi] Adefi-Mtambo-FR.pdf (infracoafrica.com)
[vii] Kenya: university enrolment by gender 2016-2023 | Statista
[viii] https://www.statista.com/statistics/1237860/number-of-students-in-selected-public-universities-in-kenya
[ix] Can women close the climate ‘gates of hell’? | Context
[x] GenderSnapshot_2022_FR.pdf (https://www.unwomen.org/fr)
[xi] Les changements climatiques exacerbent la violence à l’égard des femmes et des filles | HCDH
[xii] Afrique subsaharienne : la fracture financière entre hommes et femmes (banque-france.fr)

Claire Jarratt

Avant d’occuper le poste de directrice des investissements chez InfraCo Africa, Claire assumait les fonctions de directrice principale du développement d’entreprise et de responsable par intérim du développement. Avant cela, elle a été pendant plus de dix ans directrice adjointe de l’équipe de financement de projets et de finance d’entreprise chez International Power PLC, une entreprise du FTSE 100 aujourd’hui intégrée à Engie. Claire a également occupé le poste de directrice adjointe chez PriceWaterhouseCooper.

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